Ils n’habitaient pas chez eux

Place Tahrir, ils se sont mis à nettoyer.

L’Egypte était « sale » lorsque leur pays leur était volé – pourquoi nettoyer ? La saleté comme symptôme du déni des droits et de la démocratie – l’extrême opposé, mais tout aussi significatif, des autres dictatures terroristes, celles qui imposent une propreté glaçante.

Peut-être habitent-ils chez eux maintenant… Nettoyer s’impose. On fait le ménage chez soi.

Chez soi, c’est là où ils n’étaient pas, non seulement dans la rue, mais pas non plus dans les maisons et les appartements qu’ils habitaient.

Car l’Egypte sous Moubarak, ce n’est pas que les espaces publiques privatisés par le tyran et ses affidés, c’est aussi les domiciles et les lieux de travail, où les forces aux ordres pouvaient surgir, démolir, rapter, pour torturer et tuer – maintenant ou plus tard.

La violence circule de la sphère publique à la sphère privée, et vice-versa. Pour survivre en tyrannie, il ne suffit pas de savoir se taire un peu, ni se faire simplement discret. Il faut mourir à soi-même, n’être qu’une ombre chinoise dans les rues et les intérieurs.

Maintenant, souhaitons qu’ils reprennent épaisseur et couleurs, et que les sons se déploient librement chez eux.

Dehors, les jeteurs de mauvais sorts, oiseaux de mauvais augure et autres fées carabosse !

Aux sommets de l’Etat, dans les chaires professorales et médiatiques d’éminents penseurs, dans certains organes d’information, un augure triste circule et résonne. Les printemps égyptien et tunisien ne seraient pas l’aube d’un été indien, mais un bref intermède avant un hivers aux mortelles rigueurs.

On ne sort pas indemne de décennies d’asphyxie sous la botte des tyrans, et les maux des individus et des familles se mêlent là-bas aux plaies de la société, justifiant que l’on s’y accorde le temps de vaquer aux soins réparateurs en même temps qu’à la construction de l’Etat de droit.

Nous, dont l’Etat fut si défaillant à l’heure de soutenir ceux qui souhaitaient devenir nos frères en démocratie, pourrions estimer qu’il s’agit là d’une tâche à laquelle nous serions honorés de concourir, loin des politiques d’abandon pratiquées jusqu’à présent.

Ne pas le faire serait mal, et nous en paierions de toutes manières le prix. Car si ces révolutions courageuses et inespérées nous passent du baume au coeur et donnent enfin le courage à nos journalistes de qualifier la Russie, la Chine, l’Algérie et le Maroc de tyrannies – ce qui est un progrès pour notre démocratie malade ! -, les laisser périr nous fera à nous aussi du mal.

Nous avons bien sûr ici en tête les précédents des révolutions « orange » en Ukraine, et « des roses » en Géorgie. Loin de les soutenir, nous les avons laissées seules face à l’Etat russe, vorace et antidémocratique – notre ennemi stratégique et idéologique. En Ukraine, un pro-Poutine s’est installé au pouvoir; et la petite Géorgie est amputée d’une partie de son territoire et vit sous la menace d’avancées supplémentaires de l’armée occupante.

Ces deux pays ont été laissés seuls, et c’est un sort semblable que les tristes pronostiqueurs cités plus haut annonce aux peuples de Tunisie et d’Egypte. Plus exactement, ils le préparent. Ils commencent à mettre en place les conditions d’un abandon au nom de la sécurité et de l’intérêt supérieur des démocraties occidentales à s’assurer un environnement stratégique sûr.

Apparemment cohérents, leurs arguments sont en fait fallacieux : préparant un refus d’assumer notre devoir de solidarité avec les peuples privés du respect de leurs droits fondamentaux, ils sont également destinés à couvrir les abandons précédents, ces errements anciens de notre politique internationale.

On ne devrait pas les laisser camoufler ce qui fut et demeure des fautes commises en notre nom en Tunisie, en Egypte, mais également au Maroc, en Chine, en Russie, au Togo, au Gabon, au Centrafrique… On ne devrait pas les laisser abandonner ces populations en notre nom.



Hourra pour les ressuscités !

On a voulu les enterrer vivants entre les quatre planches de la dictature, les peuples tunisien et égyptien se sont extraits de ce tombeau. Ils ne le doivent qu’à eux-mêmes. Hourra pour eux qui mêlent à nouveau leurs voix à celles du monde, et bienvenue.

Ils expriment leur si saine, si humaine, si viscérale aspiration au respect de leurs droits fondamentaux et à la démocratie.

Ils font mentir cet absurde racisme culturel qui nous explique que des africains aux arabes en passant par les chinois et les russes, il est des populations incapables de seulement désirer vivre et s’exprimer librement. Ils démontrent ce que nous prétendons avoir oublié : les droits humains sont universels, et leur respect est la condition sine qua non de l’épanouissement des peuples.

Merci, et bonne chance à vous : nous qui sommes à vos côtés sommes innombrables.

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